Bjarni, depuis plus de cinquante ans, s'était tourné vers la religion afin d'expier ses erreurs du passé. Autrefois, on parlait du Mordrak comme d'une bête assoiffée de sang qui, lorsqu'elle vous prenait en chasse, ne démordait pas tant que vous n'étiez pas tombé dans ses filets. Sa légende, après son évanouissement dans un monastère saccagé, s'était dissipé comme cendre au vent et aujourd'hui, l'ancien Arenson n'était plus qu'un religieux reclus et soucieux de la paix. Baron depuis de nombreuses années, on lui avait attribué un avant-poste car on le savait capable, même si cela n'était pas dans la priorité du Mordrak. C'était pour cela qu'en ce matin de grand froid, il était parti, trois agneaux mort sur le dos, rendre hommage aux dieux mordrakiens. Fata guidait ses pas et son pèlerinage commença.
Le chemin était long et rigoureux mais le moine n'avait que faire des embuches, car sa foi lui permettait de surmonter les pires obstacles. Depuis qu'il avait tranché la main de son subalterne, il s'était promis de ne plus jamais abandonner ce qu'il chérissait et sa foi grandissante faisait partie des choses qu'il aimait. Son nouveau mode de vie l'avait guidé à travers les ténèbres de ses idées noires et l'avait sauvé, Bjarni rendait grâce aux Dieux chaque matin. Emmitouflé dans sa cape de peau, il avançait donc le corps penché vers l'avant et la viande congelé sous les bras. Atteindre le Refuge de Granahill n'était en soit pas chose aisée, mais pour tout descendant de Mordrak, le chemin se devait d'être connu. Bjarni n'avait pas craché sur cet héritage.
Arrivé face à la magnificence de la Déesse, il adressait quelconque prière lorsqu'on le bouscula. Perdant pied, il se rattrapa tout de même. L'un de ses présents avait choie au sol et un chien-loup, enjoué, s'apprêtait déjà à le mordiller. Bjarni, bien que dérangé, était cependant loin d'être contrit et il adressa un regard plein de calme vers la jeune femme qui l'avait poussé. Il s'approcha également de l'agneau mais le canidé préféra le garder pour lui. Bjarni ne s'y opposa pas, car telle était la parole d'Aequalis.
« Par Fata, serait-ce le Denhir ? » exprima d'un petit rire Bjarni, faisant référence au loup à deux têtes des légendes mordrakiennes, auquel il apportait l'un de ces agneaux. « Si c'est bien lui, alors vous êtes bien protégée pour traverser ces terres dangereuses... Voyagez-vous seule ? »