Les loups ne se mangent pas entre eux [Kar]

Le grand froid parcourant les crevasses aseptisait suffisamment l'endroit pour en rendre l'odeur supportable. Être la victime d'un Mordrak était une chose. En être le prisonnier, c'était pire. Le destin de quiconque se retrouvait jeté dans ces geôles était cousu de fil blanc : servir de chair à canon pour les rebelles, ou d'esclave à l'Amarien le plus offrant. En priant Granahill, ou quiconque possède le rang de dieu en ces terres, de tenir le trajet des steppes glacés aux dunes braisées. Peut-être l'idéal était il de ne pas y survivre, finalement.

Assis dans un coin d'ombre, Osvald posait inlassablement ses yeux imperméables sur ce "bétail". A l'heure où ses compatriotes se pressaient pour jurer allégeance à Alderic II, ou bien au contraire aboyaient silencieusement leur haine pour la couronne, l'Olrikson lui, projetait d'autres rois à destituer. Le Royaume ne l’intéressait pas. La Rébellion ? Il s'en méfiait tout autant. Ces petites manigances de nobles, ces jeux de pouvoirs, noués aux magouilles politiques et aux assassinats de couloirs, faisaient uniquement le jeu des opportunistes.

Alderic II renversé, qui prendrait sa place ? Un autre, surement tout aussi détestable. Peut-être même un rebelle, pire que le souverain actuel lui-même. Osvald ne croyait qu'en une chose : l'appartenance à un peuple. Il était trop facile de se prétendre loyal à Alteran ou révolutionnaire dans l'âme. En revanche, les hommes et femmes naissaient Mordrak, Amarien, Veldens... et c'était immuable.

Une gorgée de vin chaud lui apporta un peu de fièvre, et il sentit la convoitise dans les regards des prisonniers.

A l'autre bout du continent, peut-être est-ce des Mordraks qui réclament une gorgée de vin...

Le Pic de l’Éphémère grouillait aujourd'hui. Une tempête venait de passer, les loups étaient sortis de leur tanière pour chasser, et venaient à présent déglutir leurs flots d'âmes sans plus aucun droit sur leurs vies. Mais ce n'était ni la compassion ni la pitié qui avaient conduit Osvald ici. Il espérait croiser une personne bien particulière. Une jeune chef de clan, qui nourrissait de plus en plus de rumeurs. Et depuis trois jours qu'il campait ici, s'eusse bien été un signe de Granahill si elle ne passait pas dans les parages.

C'était jour de chasse et de pêche. Alors qu'une partie des habitants avait été assignée à la seconde tâche, la première, elle; était supportée par un petit groupe dirigé par Kar. La jeune femme n'aimait quitter la forge aussi longtemps. Elle se remémorait encore les événements passés. Ils avaient eu lieu uniquement parce qu'ils étaient partis en raid. Cependant, aujourd'hui, ils étaient dans le groupe de chasse bien moins nombreux que dans celui du raid. Le village était donc en sécurité. Plus le froid se durcissait, plus leurs sessions de chasse s'éloignaient du lac gelé. La Dunderas chef de son clan ne connaissait rien à la chasse, à vrai dire; dans ce groupe, elle ne servait pas à grand chose. Enfin, elle apprenait.

C'était Oelbrak qui l'avait entrainée dans cette aventure. Le meilleur guerrier et la chef du clan dans le même groupe loin de falaise, était ce une idée si judicieuse que ça ? Si Kar était intrépide, elle était néanmoins, et même pour son jeune âge; plus réfléchie que son oncle. Elle comprenait pourquoi c'était elle qui avait été désignée et pas lui. Et puis, ce n'était pas comme s'il l'enviait. Le contraire était même plus probable, supposait elle. Enfin, leur jeu de piste à la recherche de viande fraiche venant d'autre part que le lac semblait touchait à sa fin lorsque l'éclaireur de leur groupe siffla, reproduisant exactement le chant d'un petit oiseau d'hiver assez répandu dans la région.

Tous le rejoignirent dans la plus grande discrétion possible. Kar suivait le mouvement. Observait aussi, et écoutait. Elle ne pensait pas avoir son mot à dire dans cette lointaine et longue escapade, mais le destin en voulait autrement. Les quatre chasseurs, embusqués; observaient un homme. La Dunderas anticipa vite la question qu'on s'apprêtait à lui poser. "On ne le tue pas, voyons d'abord ce qu'il est." Aussi silencieusement qu'une bête de la nuit, le groupe s'extirpa de fourré le dissimulant et se révéla aux yeux du campeur. Que ce soit Gramn, Oelbrak, Kar ou Ignid; ils avaient tous leurs armes à la main. Dans le doute.
Cependant, si Kar avait décidé qu'ils ne l'attaqueraient pas; ce n'était pas elle qui parlerait. Oelbrak, malgré son manque de vision globale, semblait éclairé par une germe de lucidité. En fait, il agissait surtout par instinct, pour protéger la fille de son défunt frère.
"Ce n'est pas bien prudent de se promener dans ces lieux, par les temps qui courent... Notre bon monsieur pourrait il nous dire ce qu'il fait ?" Dit-il en levant sa lame vers l'inconnu.
Parfois animée d'une lumière brillante, certes, mais qui se ternissait encore plus vite qu'elle n'apparaissait. Cet homme épuisait la jeune rouquine...

Alors qu'il portait une nouvelle fois sa corne de vin à ses lèvres, Osvald fut parcouru d'un sentiment désagréable. Cependant, à peine eut-il le temps de constater ce sursaut d'instinct, qu'une bande de chasseurs lui tombait sur le coin de la truffe. Quelques hommes et femmes armés l'entouraient, tandis qu'eux-même étaient encerclés par les multiples crevasses qui, en hauteur, servaient de cellules aux prisonniers des Mordraks. Quelques curieux collèrent leur nez aux barreaux froids de leur geôle, là où d'autres n'en n'avaient pas la force.

Sa coupe toujours à ses lèvres, l'Olrikson balaya rapidement la zone du regard, avant qu'un homme dont aucun n'aurait douté de son sérieux, ne l'approche en le menaçant avec son arme. Si d'apparence, il avait de quoi intimider, son langage était plus... "bouffonesque" ! Osvald le fixa les yeux dans les yeux, puis aperçu quelque peu en retrait, une jeune Mordrak. Sa chevelure flamboyante mis la puce à l'oreille du fermier : c'était la demoiselle qu'il cherchait !

Un large sourire presque effrayant entailla la barbe d'Osvald. Il entama sa réponse en regardant la jeune femme, puis la termina en se retournant vers l'homme qui l'avait interpellé.

« - Eh bien... je vous attendait, clan Dunderas ! »

Rares étaient ceux, en ces Terres du Nord, qui ignoraient le fait macabre qui venait de toucher cette famille. Comme toutes les nouvelles qui se transmettent de la bouche à l'oreille, l'histoire de ce clan de forgerons avait plusieurs versions, mais seuls les détails peu importants changeaient de l'une à l'autre. Le plus grave était vrai : un massacre.

Osvald repris un air un peu plus neutre, et termina d'un trait ce qu'il restait de vigne dans sa corne. Il la jeta ensuite au sol, près de ses affaires, et cala ses deux pouces entre sa ceinture et son ventre. Nul doute que ses "invités" risquaient d'être sur leurs gardes maintenant qu'il leur avait annoncé qu'il les attendait.

« - J'ai bien cru que vous seriez la seule Mordrak du royaume à ne pas passer dans le coin. »

« Je me présente : Osvald Olrikson. »

Il avait beau ne pas connaître son nom, il savait que la jeune femme était celle qui avait repris la tête du clan Dunderas, après la mort de leur Drakson. Peut-être avait-elle un lien de parenté avec lui ? En tous cas, les talents de forgerons de ces Mordraks connaissaient une excellente renommée. Un des motifs principaux de cette approche peu orthodoxe.

« - Servez-vous ! »

Devant lui, la carcasse d'une maigre bête fumait au-dessus d'un feu timide. C'était trop peu pour tous les nourrir, mais suffisant pour se montrer amical. Restait son vin chaud, pas le meilleur du Grand Continent, certes, mais bien assez goûteux pour se revigorer après la chasse. Ça et là, des rondins de bois tronqués faisaient office de sièges de fortune. Osvald n'avait pas encore, hélas, les moyens de s'entretenir avec autrui dans un minimum de luxe. Restait à espérer que les Dunderas ne se braquent pas.

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» Un poulet entouré de loups !

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