Pour quiconque n'était pas natif des Terres du Nord, ses forêts pouvaient paraître bien inhospitalières. A vrai dire même pour les Mordraks qui s'en tenaient écarté, et leur préféraient les plaines glacées et les vallées blanches, cette armée de pins poudrés sans soleil respirait l'hostilité. Osvald avait beau l'avoir traversée à de nombreuses reprises, il ressentait toujours cette même menace, diffuse, impalpable, tapie dans l'ombre des arbres.

Malgré cela, la peur n'était nullement la cause de son corps grelottant. Car, quand bien même il ne craignait que les dieux, le démon qui le hantait à l'heure actuelle s'appelait Eirik. Son oncle.

Fratricide et menteur. De bien mauvaises qualités pour un chef. Et les allers et venues récentes de Draksons avec qui il fomente je ne sais quoi ne me rassurent en rien. Pressentirait-il que le vent va tourner ?

Eirik Olrikson n'avait en effet jamais réuni de confrères dans d'autre intérêt que le sien. C'était un homme vieillissant, avare et gagne-petit, qui bien qu'il ait toujours été un père de famille respectable, n'avait pas l’étoffe d'un Fils de Mordrak. La cause Mordrak et l'étendue du monde étaient deux choses qui le dépassaient. Deux choses qui, à l'inverse, obsédaient Osvald. Deux choses enfin qui représentaient un motif suffisant pour le destituer, sans compter la justice pour le meurtre d'Osvald père.

Si ces dernières semaines, divers clans venaient à la rencontre d'Eirik, c'était peut-être pour forger on-ne-sait quelle alliance, dans on-ne-sait quel but. Mais l'alliance d'insectes n'en restait pas moins qu'un groupe d'insectes. Inoffensif. Le jeune neveu de son côté, prévoyait plutôt de s'associer avec des ours pour mener à bien son entreprise. Et voir plus loin pour le peuple du Nord.

L'ours en question, et il était plus juste de le mentionner comme un tigre blanc, c'était Bronahar Urgok. Nul en ces terres n'ignorait qui était Bronahar Urgok, et c'est précisément cela qui faisait penser à Osvald qu'il ferait un bon allié. Sur son vieux cheval auquel les articulations jouaient des tours, le futur régicide s'était donc mis sur la piste de ces hommes redoutés, et de leur chef. Connaître leur emplacement exact ne lui aurait d'ailleurs pas été utile : Osvald n'avait qu'à marcher dans leur direction, et ces redoutables traqueurs le trouveraient bien avant qu'il ne les trouve.

Encapuchonné, il avançait donc sur son vieux destrier, à travers la ténébreuse forêt, son souffle givré traînant sur son passage. Sans même savoir si la menace qui le chatouillait était due aux pins, ou aux hommes de Bronahar.

J'avais dirigé mon clan vers les forêts enneigées des terres du nord. Le gibier commençait à y être abondant et on pouvait aussi se rénover en bois, herbes et tout autre chose que pouvait nous offrir une forêt comme celle-ci. Cependant, le clan était assez nerveux, il n'aimait pas trop se retrouver en ces lieux, légende et autre compte pour sale gamin, je ne croyais en rien de tout cela. J'y voyais deux avantages, une bonne chasse et un abri pour les gens qui sont effrayés par les légendes, c'est à dire la majorité des Mordraks.

On y arrivait paisiblement alors que certains commençaient à demander de partir vers un autre lieu. Je me mettais alors face à mon clan et je leur faisais un petit discours. Les légendes étaient fondés sur des histoires transformés au fil du temps. Je ne craignais que les dieux et ils n'étaient pas présent dans cette forêt. On y pénétrait alors jusqu'à trouver une petite clairière afin d'établir notre campement et en commençant par le sécurisé des bêtes sauvages, l'homme étant plus que rare. Je demandais aux femmes de préparer le feu afin que les enfants ne meurent pas de froid. Quand aux hommes, ils montaient nos abris provisoire pour le bien de la communauté.

Nous étions maintenant bien installé, en deux jours nous avions pu chasser pas mal de bête et couper du bois, trouver quelques plantes. C'était un très bon début et une chose était sur, je pensais que cet endroit naturel était l'idéal pour commencer à batir une nation, mais je n'allais pas me perdre dans mes rêves alors que j'étais en train de manger de la biche dans ma tente de luxe, privilège du chef. J'entendais alors des pas se diriger vers moi, je pouvais voir notre traqueur débouler à toute vitesse. Il m'expliquait qu'il avait aperçu un homme chevauchant une monture des plus pitoyable et qu'il semblait un peu perdu.

Je me relevais et j'allais à l'extérieur, j'appelais mes deux fidèles second et je montais sur mon tigre des neiges. On suivait alors notre traqueur vers l'homme en question. Il était seul, il fallait être fou. Mais il avait un avantage, c'était un Mordrak, je n'allais donc pas le supprimer. Je n'arrivais pas à distinguer son visage. On le suivait de manière parallèle à l'abri des pins. Je décidais alors de couper à travers et de bondir avec mon tigre face à lui pour le stopper net. Mes hommes me rejoignaient rapidement pour l'entourer afin d'empêcher toute fuite. Je m'avançais alors doucement vers lui.

"Que fais-tu sur mon territoire actuel et seul. Présentes toi ! Si tu ne veux pas que j'aille arracher ce qui te sert de vêtements !"

Au cœur de la forêt, l'espace et le temps n'existaient plus. Le ciel servant de boussole et d'horloge disparaissait sous un amas feuillu immaculé, et l'horizon s'évanouissait dans la pénombre qui liait les troncs. Un décor des plus hypnotiques, qui, couplé à une longue route, engourdissait les sens même les plus instinctifs.

Mais Granahill cru bon de sortir Osvald de son étourdissement naissant. Et quel moyen ne fut pas employé pour y parvenir !

Sans que l'Olrikson prenne le temps d'y comprendre, sa monture hennit tout en se cambrant en arrière, soulevée sur ses deux faibles pattes. Ses sabots avant martelèrent l'air comme s'ils cherchaient à chasser un spectre. Osvald fut au moins aussi surpris que sa bête, mais fut moins démonstratif, bien que les battements de son cœurs se lisaient sur son visage réveillé par tant d'émotions. C'était bien un tigre qui se tenait devant lui, et pas des plus commodes. Sans parler du titan qui le chevauchait. Il aurait fallut être bête pour ne pas reconnaître - ou tout du moins deviner - là Bronahar.

Osvald fit tourner son cheval sur lui-même, constatant la troupe qui lui coupait tout repli, de concert avec la forêt elle-même. Soit. Il était de toute façon trop tard pour se retirer. Les yeux bleus profonds du jeune homme se plongèrent dans ceux du Drakson. C'était une vraie force de la nature, et pas que dans son muscle. Son regard traduisait aussi une grande force. Rien à voir avec les billes fades et inexpressives d'Eirik.

Après avoir digéré sa surprise, l'Olrikson consentit à tomber son capuchon, qui tenait tout de même sur l'arrière de son crâne, mais donnait désormais son visage à la vue de Bronahar. Puis il inclina très légèrement son buste en avant, plus en signe de respect que de soumission. Ses mains étaient posées sur la selle de sa monture, et il souriait très légèrement, bien que la situation ne s'y prête pas.

« - Drakson Bronahar. Vos hommes ne manquent pas à leur réputation... dit il en jetant un œil d'un côté puis de l'autre par-dessus son épaule. Mon nom est Osvald Olrikson, et j'allais à votre rencontre. »

Il marqua une pause. Il aurait aimé lister son titre, ses possessions, pourquoi pas citer les plus hauts faits de sa tribu... Mais c'est précisément tout cela qui l'amenait ici. Préciser son statut de fermier/pillard ne sembla pas non plus être une bonne idée, au risque de voir Bronahar croire à une mauvaise blague ou un fou, et ne pas être séduit par l'idée de perdre son temps. Puis, après une inspiration tout en perdant son regard dans le vide, il regarda a nouveau le chef Urgok dans les yeux, et se lança.

« - Drakson Bronahar... Êtes vous de ceux qui croient que notre peuple mérite mieux ? Mieux que d'être relayé au rang de parias, et que de passer nos vies à piller les mêmes bicoques abandonnées jour après jour ? »

La forme était un peu tape-à-l’œil, mais l'essentiel était là : il avait l'attention de son auditoire. Ce n'était sans doute pas le meilleur endroit pour discuter, mais Bronahar n'allait certainement pas lui ouvrir la porte de son campement si Osvald ne parvenait pas à aiguiser un minimum sa curiosité.

« - Ne serait-il pas temps pour les Mordraks de se faire entendre ? Et respecter ? »

Les mots étaient forts, mais seul le résultat comptait.

Je ne clignais pas d'un pouce alors que je voyais l'homme face à moi se décapuchonner pour enfin croiser mon regard. Il s'inclinait alors en marque de respect. Il ne s'agissait pas là d'un pilleur solitaire ou d'un vulgaire voleur qui aurait osé pénétré en ces lieux en sachant bien que nous nous y trouvions. Ce qui pour le moment, lui sauvait la vie, mais j'attendais de voir la suite, prêt à dégainer mon arme à tout moment. Il m'interpellait par mon nom, jusque là rien de bien impressionnant et il continuait en parlant de mes hommes. Il se présentait à son tour en précisant qu'il venait pour me trouver. Il avait réussi son coup, mais ce nom ne me disait pas pour autant quelque chose et je ne voyais toujours pas pourquoi il était venu jusqu'à moi...

« Je ne vais pas prendre la peine de me présenter alors. »

D'un regard, je disais à mes hommes de me rejoindre, il ne fuirait pas si il voulait me trouver. Je m'avançais alors un peu plus de lui. Il semblait réfléchir, une bonne chose. Je n'aimais pas perdre mon temps et je voulais savoir exactement ce qu'il me voulait. Il me posait alors deux questions assez surprenante auxquelles je ne m'attendais pas du tout. Il avait maintenant mon attention et il avait piqué ma curiosité.

« Mais encore ? »

La suite me faisait sourire. Je me doutais bien où il voulait en venir. Une telle proposition devait venir d'un homme ayant des objectifs bien plus important et ne pas se limiter à son propre clan. Je me mettais alors de côté et je lui faisais un signe de tête. 

« Suis-nous jusqu'au campement, sinon ta bête risque de ne plus tenir longtemps et toi aussi apparemment ahahah. »

Je me mettais en route, lentement. Nous n'étions pas bien loin du campement et au bout d'une vingtaine de minutes on y arrivait tous ensemble. Il y avait une certaine curiosité des enfants sur l'inconnu qui venait de pénétrer notre campement. Ils étaient surtout surpris de le voir encore en vie ou alors ils s'attendaient à une exécution public. Il n'en était rien. Je descendais de ma fidèle monture pour me dirigeais vers ma tente, je demandais à mes deux hommes de surveiller l'entrée et j'invitais cet Oswald à me rejoindre.

« Nous allons discuter à l'intérieur, tu me diras exactement ce que tu me veux sans pour autant rester vague. Je n'aime pas perdre mon temps et j'espère pour toit que je ne le perds pas sinon je te renverrais d'où tu viens morceaux par morceaux. »

Le petit manège d'Osvald avait pris. Il faut dire qu'avec les Mordraks, et d'autant plus ceux qui avaient du pouvoir, la corde sensible était bien souvent nationaliste. Etant quelqu'un d'observateur, mais aussi de pragmatique, l'Olrikson savait pertinemment qu'il était inutile de s’embourber dans des futilités ou des politesses pour atteindre le cœur des débats. Faire mention sans détour d'un peuple Mordrak grand et rayonnant suffisait à engager les négociations.

Ses questions n'en restaient pas moins honnêtes, mais il y avait bien des chemins à élaguer avant d'en arriver à ce que "les Mordraks se fassent respecter".

Bronahar semblait du genre tout aussi direct que prévu. Son rire et son humour côtoyaient son franc parler et ses menaces - qu'il n'hésiterait sans doute pas à mettre à exécution. Le jeune fermier venait d'être invité au campement du Tigre, et le plus dur était fait. Il allait pouvoir discuter posément, bien que le trajet à travers les pins fut placé sous le signe du silence. A leur arrivée, Osvald cacha malgré tout sa surprise : femmes et enfants attendaient paisiblement le retour du chef et de ses hommes. Comment pouvait-il en être autrement ? C'était pareil pour chaque clan Mordrak, mais la réputation de celui-ci laissait à penser qu'ils ne s'agissait que d'une nuée de guerriers nomades et belliqueux.

Eux aussi, avaient beaucoup à protéger.

Ont-il si peu l'habitude de voir des étrangers en un seul morceau ? J'ai l'impression qu'ils voient un fantôme.

Tout en quittant sa piteuse monture, Osvald emboîta le pas au Drakson, lentement comme à son habitude, et en jetant des regards ça et là sur le camp et ses habitants. Comme partout, certaines choses lui semblaient inconnues, et de par sa grande curiosité, il aurait voulu en interroger son hôte.
Il pénétrèrent dans la tente, et une menace de plus vint s'adresser au jeune homme. Il marque alors un temps d'arrêt, sans qu'on sache vraiment ce qu'il pensait, puis s'installa. A moitié en tailleur, un coude posé sur le genoux, il pris soin de choisir ses mots et l'ordre de ses mots, comme il savait si bien le faire.

« - Je tiens d'abord à m'excuser pour mes propos racoleurs... Aussi j'irai droit au but. J'assume le fond de ma pensée : à long terme, les Draksons et tout le peuple Mordrak se doivent d’œuvrer pour qu'un jour, nos intérêts soient représentés. »

Il s'arrêta un instant, puis se mit à rire, avant de reprendre.

« - Mais vous vous dites surement qu'un paysan dans mon genre à bien peu à dire sur le sujet ! Et justement. »

Le temps était venu de clarifier le raison immédiate de sa venue, et aussi, sa demande. Osvald n'avait pas l'habitude de parler autant, mais puisque c'était lui qui était venu rencontrer Bronahar, il n'avait pas vraiment le choix. D'autant que le Tigre paraissait encore moins bavare que lui - hors mis en matière de menace, mais il y mettait la forme avec un certains style !

« - Drakson Bronahar, je n'ai rien à vous offrir. Que des promesses. J'appartiens moi aussi à un clan. Le clan Olrikson n'est pas aussi réputé ni même aussi fort que le votre. Néanmoins, il ne demande qu'à le devenir. il parlait posément, avec son charme naturel, en appuyant ses propos avec des gestes de mains retenus et lancinants. Mon oncle, le Drakson du clan Olrikson, ne nourri pas plus d'ambitions qu'il ne voit le potentiel de ses hommes. Très bientôt, je prendrais sa place... par la force. il marqua une pause, sans détourner les yeux de ceux de Bronahar. Je ne demande à personne de faire le travail à ma place. Cependant, mon oncle n'est pas homme à partager, ni même à accepter l'opposition. Une provocation en duel est inenvisageable, et il a sut s'entourer. Je n'ai besoin que d'un appui suffisant pour le forcer à accepter le duel. Et s'il le refuse... à l'y forcer. »

Je pénétrais dans ma tente et je m'installais directement sur un fauteuil qui était fait en parti d'ossement animal et humain, comme pouvait le montrer les accoudoirs sur lequel je posais mes mains. Des cranes d'hommes des plus banal, très confortable et très décoratif, sinon rien de particulier entre peau de bête et autres trophées de chasse. Il s'installait là où était sa place pour le moment sur le sol et c'était une bonne chose, je n'avais pas à le remettre en place pour un geste déplacé quelconque, à croire que ce type savait quoi faire en présence d'un chef, ce qui signifierait qu'il fait parti d'un clan avec un drakson... intéressant mais pas sur pour autant.

Il s'excusait et me disait que le peuple Mordrak devrait un jour travailler ensemble pour un meilleur avenir. J'avais une idée en tête bien plus importante que de s'unir provisoirement... Mais j'allais l'écouter d'abord. Je souriais alors à sa phrase, en effet, il était difficile de croire un gars à l'allure d'un pauvre fermier du coin, mais je pensais bien qu'il était quelqu'un d'autre disons de plus correct, pas vraiment important et qu'il n'avait rien à perdre. Il en venait cependant au fait, il était donc du clan Olrikson, en y repensant, j'avais déjà entendu parlé un peu de ce clan... Des idiots en tout genre à mon souvenir, j'ai peut être dû en tuer un ou deux, mais je ne m'en souvenais pas.

La suite m'intéressait au plus au point, il voulait prendre la place de chef par la force. Une bonne affaire si ce type pouvait redresser un clan en déclinaison totale. Il me demandait simplement de l'aider à convaincre ou forcer son oncle d'accepter le duel pour qu'il puisse tenter ça chance. Si ce qu'il dit est vrai, son oncle ne mérite en rien le titre de chef. Nous nous devons d'accepter tout duel et cela sans l'aide de quiconque. Je me frottais légèrement la barbe pour y réfléchir un instant.

« Je peux t'aider en effet. Je n'aurai pas grand mal à convaincre ce bouffon de seconde zone. Je pense même pouvoir organiser cela de moi-même en lui laissant que deux options. Accepter ton duel et si il fait un coup foireux, je massacre tout son clan mais... »

Je souriais alors en le fixant encore un peu plus et en m'avançant.

« J'y gagne quoi dans cette histoire. L'argent, les femmes ou les armes, cela ne m'intéresse pas. Il y a cependant une chose. »

Je me redressais alors en pointant ma hache vers lui.

« Si je t'offre mon aide, je désire ta loyauté et une aide de ton clan si je me dois de partir en guerre. La loyauté passe par une certaine union, l'union des clans mordraks pour une nation unie et solide sous l'égide d'un seul et unique chef. »

Je me mettais à rire fortement.

« Si tu acceptes d'être la première pierre de l'édifice, je t'y aiderais. Mais toute trahison se verra par un massacre. »

A mesure qu'il écoutait Bronahar lui répondre à son tour, Osvald détaillait nonchalamment chaque composante du "trône" du Drakson. A la seule vue de cet amas de crânes et d'ossements, il était facile de deviner qu'aucun luxe de chère ou d'or ne saurait acheter le clan Urgok. Une observation que le Tigre confirma par les mots quelques instant plus tard : ni femmes, ni armes, ni argent.

Le jeune Olrikson eut à cet instant un sourire en coin satisfait. C'était là encore une preuve que Bronahar était bien l'homme qu'il lui fallait : les nombreux Draksons desquels Eirik s'entourait n'étaient intéressés que par l'argent. Une motivation trop fragile, trop changeante.... bien moins solide que ce qu'Osvald pouvait conclure avec le chef en face de lui. Mieux valait un allié infaillible que dix incertains.

Enfin, Bronahar en vint aux faits. En ce monde, tout à un prix, et il était évident que solliciter son aide nécessitait de pouvoir lui rendre la pareil en retour. C'aurait d'ailleurs été une insulte à Osvald que de croire qu'il était venu les mains complètement vides. Le Tigre conclu sa demande par une menace de plus, et le fermier acquiesça en souriant, puis releva sa deuxième jambe, les coudes sur les genoux, mains jointes.

« - Comprenons-nous bien, Drakson Bronahar : je ne viens pas mendier vos services. Je viens bien parler d'une alliance, sur le long terme donc. Si vous me venez en aide, il est logique que je vous rende la pareil lorsque vous jugerez que c'est nécessaire. »

Mais il avait encore une carte à jouer. Ses yeux se posèrent à nouveau dans le vide, comme s'il fixait quelque chose de bien présent. On reconnaissait bien là le Osvald qui conte ses projets. Un mélange d'excitation, de hâte et de joie se mêlaient sur son visage, et faisait crépiter ses yeux.

« - Vous vous dites désintéressé de l'argent, soit. Mais nous le savons : l'argent est le nerf de la guerre. Si vous comptez unifier les clans Mordraks, et marcher au-delà de la frontière nord, il apparaît nécessaire d'avoir les comptes qui le permettent. »

Il se stoppa net, et regarda à nouveau Bronahar.

« - J'ai l'intime conviction que par-delà les mers, il existe encore des terres inexplorées. D'autres peuples, d'autres dieux... d'autres trésors. J'ai la ferme intention de faire des Olrikson un clan de navigateurs et de pillards explorateurs, Drakson Bronahar. Rien n'est encore fait, mais croyez bien que si j'arrive à mes fins, j'aurait fort à partager avec vous. »
Au moins verra-t-il que je compte sur lui à l'avenir, et pas seulement quand j'en ai besoin.

Je lui laissais le temps de bien imprégner chacun de mes mots. Ce que je désirais plus que tout, rassembler les clans, faire une nations Mordraks et construire une cité comme il n'y en a jamais eu. Un projet fou, un projet presque impossible... mais je n'y croyais pas, personne n'avait eu ce genre d'idée en tête avant moi, il était faisable, il fallait juste nous trouver un but commun. Je l'écouter de nouveau, il parlait aussi d'une alliance, c'était ce que je voulais. Le reste ne m'intéressait pas et chaque hommes comptaient dans cette union, surtout si il s'agissait des chefs de clans ou futur chef comme ce gars en face de moi.

J'étais désintéressé de l'argent oui, mais ce qu'il disait, c'était bien réel. Il fallait beaucoup d'argent pour créer une vrai armée. Je devais m'entourer de personnes de confiance, mais aussi d'un peuple que je devrais payer pour combattre et marcher hors de nos terres. J'avais d'ailleurs mon plan pour cela, mais il n'était pas certain et très risqué. Récolter des grosses sommes demandaient pas mal de sacrifices en tout genre. Je l'écoutais attentivement, il me parlait des terres au-delà des mers, des terres inconnus pour tous et son projet était des plus ambitieux et réalisable à la fois. Je me mettais à marcher pour réfléchir.

« En effet, il me faudra beaucoup d'argent. Surtout pour construire une cité, mais j'entends bien une contribution de chacun pour cela. Je compte même en parler au prochain conseil des draksons... avec ceux qui partagent les mêmes ambitions. Les autres... ils nous suivent ou ils seront exécutés. »

Avoir une influence sur les terres et sur les mers seraient un sacré avantage. Une flotte de l'empire Mordrak, une armée puissante dirigé par nos divinités, voilà ce qui était plus que probable.

« Je voudrais réunir les Mordraks sous un seul empire, nation, peuple... peu importe le nom. Avec un système politique basé sur la force et l'influence. Avoir de bons soldats et des bons marins seraient un gros avantages sur les autres races. »

Je me mettais à sourire tout en passant ma langue sur mes dents, j'empoignais ma hache pour la bloquer dans mon dos.

« Si tu veux d'une alliance, je suis ton homme. Mais cette union ne pourra être officiel que quand tu seras un drakson toi-même. Conduis moi à ton oncle et je ferais en sorte que la première étape se réalise... »

J'allais sortir de ma hutte mais j'attendais un moment.

« Un port pourrait être construit et nous pourrions ainsi explorer les terres inconnus. Je m'occuperais de la terre et toi des mers, cela nous mettra dans une position de force. »

En venant ici, Osvald ne s'était pas imaginé rencontrer quelqu'un d'aussi ambitieux que lui. Le jeune Olrikson avait ses projets, et Bronahar les siens. Par un merveilleux concours de circonstances - ou par le fait des dieux - leurs points de vue et leurs intérêts convergeaient. L'accord était ainsi tout trouvé, et bien que très différents de prime abords, les deux hommes avaient suffisamment en commun pour s'entendre.

Dans ses propos, le Drakson était néanmoins beaucoup plus radical qu'Osvald. Mais ce dernier préférait se dire qu'ils étaient comme deux mêmes pièces d'un puzzle : différents, mais complémentaires. A l'image de cette dernière phrase de Bronahar : la terre et la mer.
Le Tigre mentionna l'idée d'une nation, d'un empire... Debout et déployé, paré de sa fourrure de félin blanc, il avait en effet l'allure d'un roi du nord, ou de quelque chose y ressemblant. Osvald avait de l'ambition, mais cela ne l'empêchait pas d'être loyal, cependant, bien qu'il aimait se projeter, il préférait ne pas faire de plans sur la comète.

Bronahar semblait en revanche prêt à en découdre ! Hache dans le dos, sourire large, il était prêt à enfourcher sa monture et à marcher sur Alteran, et l'oncle Eirik au passage. A son tour, Osvald se leva, et leva son index tout en souriant lui aussi.

« - Patience, Drakson Bronahar. Aren lui-même a dut s'y reprendre à trois fois pour accomplir sa mission. »

Le jeune fermier trépignait en effet de prendre la tête des siens. Mais il était méticuleux... Il fallait prendre le pouvoir au bon moment. Eirik devait tomber devant tous son clan, devant ceux qui lui étaient loyaux et ceux qui le fustigeaient. Devant son fils, devant ses alliés et devant leurs fils. L’événement devait lancer une dynamique, et il fallait que suffisamment de monde y assiste pour que l'histoire se propage sous différentes versions. C'était ainsi que naissaient les légendes.

Surtout, il fallait que tous soient témoins. Témoins qu'Osvald affrontait Eirik de façon légitime, et juste. La sale réputation d'Eirik ferait le reste, et convaincrait les sceptiques de la légitimité du jeune Mordrak.

« - Lorsque le moment sera venu, je te le ferait savoir. En attendant soyons discrets : pas sûr que tous le monde voit notre projet d'un très bon œil... »

en effet, l'idée d'unité au sein du peuple Mordrak pouvait effrayer plus d'un Drakson. Certains se préféraient seuls, et chef, qu'unis derrière la bannière d'un autre homme.