Le froid glacial mordait férocement la chair délicate de la demoiselle alors que celle-ci s'aventurait précairement au cœur de la forêt enneigée. Les Terres du Nord avaient leur charme, malgré les températures peu clémentes. On finissait même par s'accoutumer à la rudesse des habitants, et on apprenait très vite à ne jamais discuter de religion. Peu importe où elle mettait les pieds, Hariaëlle finissait toujours par revenir en ces lieux, comme une mouche près d'une ampoule.

Elle venait tout juste de mettre les pieds dans un petit village à la frontière des Terres du Nord, où elle espérait passer quelques jours avant d'y pénétrer. Bien qu'elle adorait l'endroit, elle préférait s'y préparer. Les Élysiens et les Mordraks ne s'entendaient que rarement. Bien que la jeune fille aux allures d'adolescente n'était qu'une nomade qui n'avait au final jamais vraiment partagé les valeurs de son peuple, elle préférait prendre des précautions.

Tout d'abord, la demoiselle voulait se vêtir comme les habitants du Nord, autant pour mieux se fondre dans la masse que pour se protéger du froid. Elle se dirigea donc à grands pas vers le marché, observant avec un certain intérêt les nombreuses fourrures couvrant les étalages. Elle n'appréciait guère tuer des animaux, et encore moins les porter comme un trophée. Néanmoins, la petite pouvait comprendre l'intérêt de telle pratique dans des contrées semblables.

Son regard fut soudainement capté par un mouvement, discret, à sa gauche. Un homme bourru, barbare, un Mordrak dans toute sa splendeur, tentait de s'emparer des biens d'un marchand alors que celui-ci était occupé par un client potentiel. Hariaëlle fronça les sourcils, se délaissant de la fourrure qu'elle observait depuis un moment pour s'approcher, comme une ombre. La blancheur de ses habits lui permettait de se fondre dans le décors enneigé.

« Et si vous reposiez ce que vous venez de prendre, monsieur ? »

Le ton était doux, mais pas moins sévère. La petite avait parlé tout doucement, pour que la victime n'ait pas connaissance de ce qui se passait pour le moment. Sa façon, à elle, de donner une chance au présumé voleur.

Spoiler:

La remarque piqua. L'homme se tourna vers Hariaëlle, l'observant un instant avec scepticisme, avant de s'avancer. Il marqua le sol de sa salive, arrachant un haussement de sourcils à la petite. Il lui dit ensuite que, si elle avait été de la région, elle aurait tenue sa langue. Et pourquoi donc ? Était-il si craint ? Avant qu'elle ne puisse poser la question, les menaces tombèrent comme un couperet.

Oulah. La vitesse à laquelle les événements dérapaient était... surprenante. Hariaëlle garda pourtant une expression calme, si étrange à observer sur sa bouille d'adolescente, laissant les différents titres et injures glisser sur elle comme de l'eau. Plusieurs, dont le propriétaire des fournitures qui s'apprêtaient à être emportées, avaient vus leur attention attirée par la scène. La plupart d'entre eux semblaient terrifiés. Qui était donc cet homme ? Les prunelles dorées de la demoiselle analysèrent les alentours alors qu'elle fronçait légèrement les sourcils. Sa première impression, laissée par la remarque de l'homme, était donc bonne. Il était craint. Probablement pas pour des raisons nobles, d'ailleurs.

« Et pourquoi aurais-je tenu ma langue, monsieur ? »

Changer de sujet. Revenir à la base pour éviter le conflit, le plus longtemps possible. La demoiselle avait conscience que sa simple façon de s'exprimer, ces tournures de phrases trop « nobles », pourrait trahir ses origines. C'était déjà arrivé. Néanmoins, un combat serait bien plus dévastateur. Ses ailes sortirait, sans qu'elle puisse le contrôler, et même la peau de daim sur ses épaules ne pourrait protéger sa race exacte si cela venait à arriver. Déjà que le guerrier avait des doutes, il valait mieux éviter de les confirmer.

Le vendeur secoua vivement la tête dans sa direction, comme pour lui demander de laisser le Mordrak partir avec son butin et ainsi éviter un combat perdu d'avance. Parce que la gamine ne se faisait pas d'illusions : si elle venait à se battre, cela se conclurait par sa fuite. Elle n'avait que très peu de sorts offensifs, et cette hache ne lui inspirait pas confiance. Un sourire doux fut adresser au voleur.

« Et si on se calmait un peu ? D'autant plus que ce n'était, bien évidemment, qu'une suggestion. En aucun cas une étrangère se permettrait de telles libertés. Il me semblait simplement qu'un tel acte ne convenait pas à votre rang, d'autant plus que ce vendeur rend sa marchandise très abordable... »

La jeune femme ne bougeait pas. Elle était néanmoins prête à toute éventualité.

Agressif. Hariaëlle savait que les hommes du Nord n'étaient pas connus pour leur coeur d'or, et encore moins pour leur patience, mais celui-ci semblait particulièrement hargneux. Pour agir ainsi, il devait être incroyablement puissant, et probablement haut-gradé. Elle n'avait pas à le connaître pour déduire ce genre d'informations. Il n'y avait qu'à voir comment il exposait fièrement sa hache à ses pieds, comme pour la menacer silencieusement du danger qu'une telle arme pouvait représenter.

Visiblement, il n'appréciait pas les paroles de la blanche. Encore une fois, celle-ci demeura calme. Face à un individu pareil, il valait mieux éviter de s'exciter, histoire d'éviter de l'énerver davantage. Un regard fut adressé au marchand, qui cessa brutalement tout mouvement. Le Mordrak commençait à faire monter une certaine colère en la jeune femme. Agir ainsi, aussi impunément... C'était dégoûtant. Et elle n'utilisait jamais un terme pareil à la légère.

Lorsqu'il revint vers elle, lui faisant une offre qu'il devait trouver parfaitement raisonnable, un frisson courut le long de son dos. De mémoire, l'Élysienne ne s'était jamais mise dans une situation pareille. Esclave, vraiment ? Le rire lui fit faire un pas vers l'arrière. Une expression de surprise passa un instant sur son visage, avant de revenir à un calme cette fois un peu plus fragile. La nervosité commençait à la gagner. Ce serait le moment d'user D'une illusion pour tenter de fuir, avant que la situation ne dégénère au point de faire sortir ses ailes, qui ne feraient qu'envenimer les choses.

« Vous avez un bon sens de l'humour, monsieur. »

Nouveau sourire, cette fois un peu plus forcé. Ce n'était pas sa meilleure répartie, et une telle phrase pouvait encore davantage le frustrer. Il ne le fallait pas. Il ne semblait pas du genre à hésiter à faire un carnage. Les méninges de la petite fonctionnaient à plein régime. Quelle attitude adopter ?

« J'imagine que si ce marchand semble si disposer à accepter cette taxe, je n'ai pas mon mot à dire... »

Une façon comme une autre de dire ''Hey, t'as vu, je laisse tomber. Laisse-moi filer ?". La demoiselle doutait que cela puisse être aussi simple, mais n'importe quoi lui semblait un choix plus judicieux que le conflit armé.

Alors qu'Hariaëlle faisait un pas vers l'Arrière, l'homme fit un pas vers l'avant, comme un bête jeu. Voilà ce que cela devait être, pour lui. Un jeu amusant, où il était le prédateur et elle la proie. Un frémissement la prit face à la comparaison, qui semblait d'autant plus vraie au vu de la peau de tigre qui couvrait le guerrier. Celui-ci alla soudainement vers le marchand, qui tenta une fuite, terrifié, avant de se faire asséner un coup brutal, au crâne. Il s'étala au sol sous le choc, et la gamine eut bientôt l'impression de voir rouge. Dommage collatéral, certains diraient. Pour elle, ce n'était qu'une attaque gratuite sur un homme qui n'avait rien demandé. Pour la brute épaisse, c'était de l'humour. Les poings de la blanche se serrèrent. Elle dût brutalement serrer les dents et se mordre l'intérieur de la joue afin de contrôler la montée d'adrénaline qui aurait des conséquences néfastes. Elle amorça un pas en direction du vendeur, mais fut arrêtée par le doigt de l'homme, qui la pointa avec un regard sévère. Ou, plutôt, qui pointa la peau sur son dos. Il la voulait. Soit. Il ne valait pas la peine d'expliquer qu'elle se considérait elle aussi de la Rébellion. Il ne voudrait rien entendre, et leurs raisons seraient probablement diamétralement opposées.

La jeune femme lui lança un regard courroucé, avant de se séparer rapidement de son nouvel achat. Elle jeta ensuite la fourrure à la figure du guerrier, geste irréfléchi et conduit par la rage, avant de courir vers l'homme au sol.

« Ça va pas, la tête ? »

Un grondement. Elle avait rarement sentit un tel sentiment de colère. Son dos commençait à lui gratter, maintenant, et elle craignait que si le Mordrak demeurait encore dans son champs de vision... Bref. Hariaëlle s'agenouilla près du blessé et posa sa tête sur ses cuisses, avant de palper la blessure avec douceur. Elle prit ensuite les constantes. Il allait bien. Il aurait simplement une vilaine bosse, à son réveil. Un soupir de soulagement lui échappa.

« Vous avez eu ce que vous vouliez. Vos emplettes sont terminées, pas vrai ? »

Le ton était plus véhément. Allez savoir pourquoi.

Spoiler:

Alors que l'illustre inconnu s'éloignait, butin en main et des dégâts partout sur son passage, le visage de la petite se déforma de colère. Quel être monstrueux. Un cheveu. Il aurait fallu un cheveu de plus, et ses ailes seraient sorties. Heureusement, ce n'était pas arrivé. Néanmoins, l'étale était en ruine, et le marchand avait été privé de toutes ses plus belles peaux. Une idée commençait lentement à pointer le bout de son nez alors que la gamine observait la brute s'éloigner en direction d'une auberge.

Hariaëlle commença par s'assurer que le marchand allait bien. Elle présenta ses excuses un millier de fois face à son air désemparé, avant de se lever pour s'éloigner, lui promettant de l'aide à partir du lendemain. Pour l'instant, elle avait des questions. L'homme, aussi horrible était-il, avait clairement mentionné être de la Rébellion. La jeune femme n'en faisait pas officiellement partie, mais se considérait comme une rebelle. Alderic II devait cesser de régner pour que la paix revienne. Elle e souhaitait pas la guillotine, loin de là l'idée, mais simplement... Une démission ? Peut-être était-elle trop naïve, après tout.

La jeune femme se dirigea donc vers l'auberge. Son pas était pressé, accéléré par son envie de plus en plus grande de parler plus calmement à l'homme. Son but n'était pas de s'en faire un ami. Il était bien trop tard pour de telles idées. Il lui fallait simplement des informations. Or, dans un endroit pareil, les hommes de cette stature ne faisaient pas trente-six actions différentes : ils buvaient, jusqu'à ne plus être fonctionnels. Une habitude qu'elle ne parvenait pas à comprendre.

Lorsque la blanche mit les pieds dans ce lieu de perdition, elle eut immédiatement l'impression de détonner. Déjà, ses traits d'adolescentes pouvaient confondre sur son âge, et le blanc qui la caractérisait de la tête aux pieds n'avait rien de discret. Mais, surtout, son calme et son expression presque neutre contrastait complètement avec les cris, les éclats de voix et les rires gras.

Elle remarqua rapidement la brute de plus tôt, au centre d'un groupe de soldats à l'air tout aussi... raffinés. Hariaëlle alla se commander une choppe de l'alcool le moins fort et le plus sucré possible, avant d'aller s'installer près de l'homme à la peau de tigre. Toujours dans ce calme qui l'avait presque rendu nerveux. Elle le fixa, ne détournant pas le regard une seule fois, avant de lancer un simple :

« Tu as clairement laisser entendre que tu étais un soldat de la Rébellion, tout à l'heure. Tu es du genre avare en informations ? »

La partie commençait.

Dégoûtant. Vraiment, l'homme commençait à accumuler les charmants petits noms de la sorte. Hariaëlle réagit à peine au rot, demeurant de marbre et se contentant de grimacer intérieurement. Ce n'était pas par politesse, mais par simple... Vengeance. Elle avait remarqué que son calme énervait l'homme. Autant en profiter, dans ce cas. Ce n'était pas grand chose, mais c'était suffisant, pour le moment.

Il la traita de suicidaire, de stupide. Le fait était qu'elle avait une idée derrière la tête, et que l'état de plus en plus dégradé de l'homme lui permettait d'avoir l'espoir que tout puisse bien se dérouler. Il atteignait le seuil de sa patience ? Ils étaient deux, dans ce cas. Elle ne venait pas le voir de gaité de cœur. Simplement, elle qui voulait joindre ce mouvement de rébellion, il était le premier à en parler devant elle. Comme quoi.

Elle voulut répondre à sa question, mais il lui en posa une nouvelle, toujours avec ce rire insupportable. Un frémissement lui parcouru la colonne à la menace voilée. La petite prit le temps de boire une faible lampée, histoire qu'il puisse calmer son fou rire.

« Hariaëlle, que vous ne risquez pas de violenter dans cet état. Et vous donc ? »

La jeune femme ne comptait pas s'en faire un ami. Tout au plus, un allié de circonstance. Elle ne prendrait donc aucunement la peine de contenir sa langue, cette fois. Surtout pas alors qu'il semblait avoir du mal à tenir debout. Elle se tortilla un peu sur sa chaise, à la recherche d'une position plus confortable, avant de répondre à la première question de l'homme.

« Je doute que nos raisons et nos buts concordent, mais je me considère aussi comme une rebelle. Alderic II doit cesser de régner pour que la paix revienne. Je veux faire partie du mouvement, mais ne sait pas trop comment m'y prendre. Je cherche donc des informations à ce sujet. »

Oui, elle prenait le temps de tout lui expliquer. La petite le prenait, subtilement, pour un con. Point.

Hariaëlle était écœurée. Elle devant sans cesse se tortiller pour éviter la graisse, la salive ou la bière de celui qui se présenta comme étant Bronahar. Un nom barbare qui lui correspondait bien. La jeune femme finit rapidement en boule sur sa chaise, évitant de justesse un jet de vomissure à ses pieds. L'odeur lui prit au nez, et le combo avec le reste des fragrances horribles de l'endroit lui donnèrent une violente nausée. La petite posa sa choppe d'hydromel. Elle n'avait plus envie de boire. Même les réponses de l'homme ne la satisfirent aucunement. Les réponses ivres d'un homme bourré et horrible, même sobre.

Le discours sur la violence aux femmes et aux enfants, et envers sa propre personne, furent la goutte d'eau qui fit débordé le vase. Tout cet irrespect envers l'aubergiste, elle parvenait à la tolérer, de peine et de misère, au souvenir de ce qui était arrivé au marchand. Mais de telles paroles... Aucunement. C'était trop. Et puis, il était vulnérable, ainsi. La gifle partit avant même qu'elle ne puisse en esquisser la pensée. Un instinct, qu'on dit.

Le silence s'écrasa dans la salle. Quelque part, cela rendait l'ambiance encore plus intolérable. Cette fois, les ailes apparurent brutalement dans son dos, éclairant la scène de par la légère lumière qui s'en échappait. La demoiselle était hors d'elle.

« Vous n'êtes vraiment qu'un sale barbare sans la moindre manière. Dégoûtant, monstrueux, égoïste, puant et égocentrique. Vous n'avez rien pour vous, rien de surprenant dans le fait que vous devez forcer les femmes pour avoir un minimum d'action dans votre vie. »

Elle pouvait se le permettre. Dans l'état où il était, il ne se souviendrait pas de grand chose, le lendemain. Et puis, personne ne pourrait l'arrêter : les soldats étaient tous dans cet état misérable. La blanche se redressa, sautant agilement au sol en évitant les flaques de toute sorte de liquides poisseux et inconnus. Les regards s'étaient fixé sur ses ailes. Rien à foutre.

Hariaëlle s'approcha de la pile de fourrures, son objectif principal depuis son entrée en ces lieux sordides. Plus la moindre surveillance. Elle enfila la sienne, puis chargea le reste sur son dos, avant d'adresser un dernier regard au barbare.

« En espérant ne plus jamais vous revoir. »

Un sourire, tout ce qu'il y a de plus innocent, et la demoiselle se dirigea vers la porte, prête à rendre la marchandise au pauvre vendeur, en lui conseillant tout de même de ne pas les remettre en vente avant le départ des guerriers. Par précaution.

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