Tournant les quelques coins de rue me séparant de ma destination, je me retrouvai finalement devant l’azur du Rawane et en plein dans l’animation du port. Çà et là, j’entendais les cris des marins qui sortaient des tavernes environnantes accompagnés de la complainte constante des goélands qui pullulaient dans le port. Ce n’était plus dans mes responsabilités de faire des rondes dans le quartier, mais, étonnement, j’avais comme pris goût à ces marches à travers le quartier que je connaissais comme le fond de ma poche. Après tout, la résidence Iskandar se trouvait dans ce quartier dû au commerce familial; mon père et mon grand-père avant lui avait toujours voulu se trouver proche des entrepôts. Silencieux, immobile, je laissai les odeurs des alentours m’envahirent et me concentrai sur celles-ci, ayant toujours trouvé quelque chose d’agréable et de mystérieux dans l’air marin. Qui sait, peut-être deviendrais-je marin? Il était toutefois encore bien tôt pour que je sache ce que l’avenir me réservait et pour être honnête avec vous je préférais largement me concentrer sur le présent que d’essayer de percer les brumes de l’avenir.

Parlant de présent, j’étais dans mes pensées depuis un bon moment; je devais avoir d’un lunatique à m’arrêter comme ça en plein milieu du port. Je mis alors aussitôt à marcher, longeant les quais de gauche à droite puis recommençant dans le sens inverse. Mon inspection des lieux terminée, mon regard s’attarda plus loin et je regardai le Rawane aussi loin que ma vision me le permettait. Il traversait le pays d’un bout à l’autre, il était évidemment impossible d’en voir l’entièreté, mais je voyais suffisamment loin de chaque côté pour voir un pan de fleuve bien différents. Alors que dans le tronçon où se trouvait Jawhar l’activité foisonnait, de chaque côté le désert avait pris le dessus et seule des berges sèches contenaient le fleuve dans son lit.

- Pardonnez-moi de vous déranger, Monsieur Iskandar…

Cela me prit quelques secondes avant de réaliser que c’était à moi que la personne s’adressait. Ce n’était pas tous les jours qu’on m’appelait Monsieur. Me détournant avec regret de ma contemplation, je jetai un rapide coup d’œil au jeune homme qui m’avait dérangé. Il devait être garde du quartier, comme je l’avais déjà été, et semblait un peu mal à l’aise de venir me perturber.

- Qu’y a-t-il? Pourquoi viens-tu me déranger?

Dès que j’ouvris la bouche, le jeune homme tressaillit et chercha ses mots quelques secondes avant de finalement m’apprendre que j’avais été convoqué au Palais. Eh bien, ça s’en est une bonne raison pour me déranger! Je remerciai le jeune homme d’être venu me délivrer son message aussi rapidement et immédiatement ses épaules se détendirent, puis je pris prestement la direction du palais. Zigzagant à travers les rues, je fus en moins de deux devant les portes de l’enceinte du palais où attendaient deux gardes impériales au garde-à-vous. Quand j’arrivais à leur hauteur, je m’arrêtai de mon propre chef, sachant qu’ils m’auraient tout de même demandé de m’arrêter si je ne l’avais pas fait moi-même, et déclinai mon identité, mon rang ainsi que la raison de ma venue dans l’enceinte du palais. Je sentis leur regard me scruter quelques secondes avant de se tasser pour me laisser passer à l’intérieur. J’inclinai rapidement la tête aux deux gardes, leur souhaitant silencieusement une bonne journée, puis traversai le mur de pierre qui délimitait la résidence du sultan, le Palais.

Outre les jardins et les fontaines, les lieux de résidence et les endroits ouverts au public, l’immense terrain du sultan abritait également ce que j’appelais le Macquil – le Bastion – c’est-à-dire le bâtiment réservé aux affaires militaires. C’était entre autre là qu’il y avait mon bureau, bien que je n’y sois pas très souvent. Traversant la résidence silencieuse si ce n’était du clapotis de l’eau, je me dirigeai vers le Bastion, là où on m’avait sans doute quémandé. Comme de fait, j’avais effectivement été convoqué pour nul autre qu’un grief entre gardes. Eh oui, étant celui qui était en charge du Quartier Portuaire, c’était également dans mes responsabilités si jamais il devait y avoir litige entre ceux-ci, encore plus si le sujet de la dispute était leur itinéraire de rondes. Comme si les gens n’avaient rien d’autre à faire que de se plaindre de son itinéraire de ronde!

- Mais c’est quoi ces enfantillages? Vous êtes des gardes de Jawhar ou pas? Vous devriez vous compter chanceux d’être affecté au Quartier Portuaire au lieu de vous plaindre de vos rondes, c’est bien plus intéressant que parcourir le Quartier des Religions et beaucoup plus sécuritaire que faire des rondes dans le Quartier Mal-famé. Allez, déguerpissez et que je ne vous entende plus vous chamaillez pour ça, sinon je ne donne pas cher de vos rondes.

Je chassai ensuite les deux mégères qui n’avaient plus aucune raison de se plaindre après le discours que je leur avais servi. Ensuite, je fis un tour rapide à mon bureau et, voyant que rien d’autre d’important nécessitait mon attention, pris la direction de la sortie. C’est alors que j’entendis une voix derrière moi.

- Vous tombez bien, Iskandar.