Ahmad marchait dans les rues de Jawhar calmement. C’était un jour comme un autre, un jour de marché inondé par de multiples têtes, tantôt des crânes couverts par d’épaisses couvertures ou turbans, tantôt par un foulard fin, tantôt à nu en signe d’esclavage. En effet, les plus riches avaient de quoi se protéger du soleil harassant et impitoyable de ce désert éternel, mais les plus pauvres n’avaient guère d’autre recours que d’exhiber un torse nu ou un crâne à l’impitoyable Soleil contrôlé par Sol- lui-même.

Marchant donc fièrement, entouré de deux gardes du corps des plus forts et des plus solides, il flânait devant divers étales, cherchant éventuellement quelques produits rares ou curieux. De merveilleuses lames d’hommes du Nord ? Des étrangetés des Veldens ? Ou alors ces fameux cristaux incompréhensible des Elyséens ? Pour agrémenter ou amuser la galerie, il y avait quelques charmeurs de serpent ou quelques acrobates sur des piques, ou des brasiers … Bref, des prestations qui pourraient être démantelées avec aisance pour des yeux avisés et des esprits aiguisés.

Malheureusement, le destin avait opté toute autre chose pour le monsieur.

Il fut bousculé par une jeune femme tombant au sol, l’ayant tout bonnement obligé à poser un pied en plein dans une bouse de chameau. Un juron s’entendit et, après avoir secoué cette pauvre chaussure enrobée de crottin immonde et puant, il tendit rapidement celui-ci devant le visage de la souillonne. Blonde, forte, sale … C’était sûrement une esclave, ou alors un de ces pauvres des quartiers mal famés qu’il contrôlait.

- Nettoie-moi donc ce pied que tu as Sali, l’esclave.

Forcément une esclave à bien réfléchir … dernièrement, une grande partie des têtes blondes ou rousses n’étaient que des prisonniers de guerre revendue par des Mordraks. Prisonniers de Guerre qu’Ahmad ne voulait plus, cela semait bien trop de discorde dans les rues avec ces idéaux de « liberté » ou « rébellion ». Si certains disaient que c’était « proche », d’autre n’y croyaient pas car pour le moment, les majorités des esclaves n’avaient connu que cette vie de servitude et ils préféraient s’appuyer sur le maître – une valeur sûre – que ces étrangers incompréhensibles et facilement tués pour désobéissance – valeur non sûre, en somme.

- Qu’attends-tu ? Nettoies donc, que je n’ordonne pas le fouet. Je suis le Régulateur, quel que soit ton rang, tu me dois obéissance. Et davantage avec ta condition de femme.

Ahmad et sa misogynie … Un jour, il allait recevoir une grande claque, mais de qui ? D’une esclave, d’une noble ? Le destin jouait, pariait … était capricieux. Il ne savait quand abattre le courroux sur cet orgueil immense et immensurable !

Elle était une grande belle blonde – excepté cette crasse et cette poussière évidemment – mais cela ne jouait nullement en la faveur de la demoiselle. Ahmad prenait ce qu’il désirait sans se préoccuper des autres, de leur personnalité ou de leur situation. Il ordonnait ainsi avec autant de stupidité et d’orgueil. Cependant, peut-être n’était-il pas si stupide s’il était à un tel poste jusqu’à maintenant, n’est-ce pas ?

Avec une certaine suffisance, il observait l’inconnu se pencher sur la chaussure et la prendre. Il arqua ses sourcils devant cette incompétence. Pourquoi par tous les démons prenaient-elles sa chaussure et ne la nettoyait-elle pas sur place ? Il soupira, prêt à lui demander d’arrêter d’obéir … mais elle commit une action des plus détestables.

- Je suis le Régulateur, et non le Marchand.

En somme, si ennui avec des Marchands Mordraks, au Marchand de se charger d’arranger les liens. Sans loi ni foi, le Régulateur était connu pour agir à sa guise, et effrayer ou soumettre plus d’un en travers de la connaissance de leurs sales petits secrets. Il ne craignait donc pas aussi aisément les représailles … Sauf peut-être celles du Sultan. Par contre, même lui, avisé qu’il était, il éviterait de se séparer de son assassin royal ou encore de son comploteur vénéneux.

- Je doute que me menacer sur mon territoire, sur ma terre natale soit une bonne idée l’étrangère, finit-elle par dire avec dureté.

Il demanda d’un signe de main à son garde de s’approcher, et lui susurra quelques mots à l’oreille. Sans tarder il se dirigea tout droit vers la blonde afin de se saisir d’elle. Rien de méchant, si ce n’est les deux bras. Calmement et tranquillement, en parallèle, Ahmad s’avança et tâta le tonneau d’eau de ses doigts. Il réfléchissait, mais à quoi ?

« Mettre la tête dans le tonneau, bien trop classique ».
« Renverser est bien ardu étant donné que je n’ai pas la force nécessaire ».

Il finit par prendre sa décision. Il écarta les bras en grand et finit même par se courber devant la blonde.

- Je m’excuse bien pour cette méprise, la journée a été rude, et le temps est des plus harassants comparés aux autres jours.

Il finit par se relever.

- Pourriez-vous me récupérer cette chaussure ? demanda-t-il aimablement, en faisant signe du coin de l’œil le garde de lâcher la blonde.

Avait-il une idée en tête ? Oh que oui … Selon la décision, il allait bien vite s’adapter à la situation. Toujours est-il qu’il ne comptait nullement lâcher la blonde aussi vite. Pas aussi facilement, en tout cas. Le garde finit par laisser l’inconnue, ayant malgré tout marqué les bras de la dame pâle de rougeurs avec sa force propre à sa fonction.

« Que vas-tu faire petite sotte ? » se demanda-t-il avec curiosité. Depuis petit, il avait toujours été étonné par la force de caractère et la « folie » des femmes non amariennes.